Trois ans que Lynette fréquentait le lycée Doisneau. Trois ans qu’elle en arpentait les couloirs avec une angoisse indescriptible. Parfois, elle tentait de se persuader que tout venait de son imagination, qu’elle était trop sensible et qu’elle surinterprétait tout un tas de choses. Ces courts moments de répit ne duraient jamais bien longtemps et parfois la réalité la rattrapait brutalement. Souvent, elle se demandait si elle était la seule à penser que quelque chose n’allait pas dans son lycée…
Lynette inspira un bon coup : encore une autre journée à passer dans cet endroit qui la mettait parfois si mal à l’aise. Heureusement, cette année elle pouvait compter sur l’amitié de sa bande de copains pour la surmonter. Alors qu’elle s’apprêtait à franchir la grille de l’établissement, elle aperçut au loin Justine qui lui faisait des grands signes. Mais comment diable faisait-elle pour être aussi en forme avant huit heures du matin ? Si elle ne la connaissait pas aussi bien, Lynette mettrait sa main à couper que son amie se dopait au moins autant que Lance Armstrong, l’ex-septuple champion du Tour de France…
- « Hey Desperate attends moi ! » , lui lança-t-elle sans tenir compte de la présence de tous les élèves devant la grille.
Lynette sentit le rouge lui monter aux joues, d’autant plus que les BTS étaient juste à côté d’elle et la dévisageaient avec une telle insistance qu’à ce moment précis elle aurait bien aimé que le sol s’entrouvre sous ses pieds…Elle entendit un « Comment elle l’a appelée ?! Desperate ? » suivi d’un gros éclat de rire.
- « Justine…Je vais te tuer !!! T’es obligée de me foutre la honte au moins une fois par jour sinon tu te sens pas bien c’est ça ? »
Bien sûr Justine n’était pas affectée le moins du monde comme en témoignaient ses éclats de rire mais pas du tout discrets…
- « Allez, arrête de te plaindre, grâce à moi t’es populaire maintenant ! Tu crois que tout le monde peut être assimilé à une héroïne de série télé ? Moi, perso, je connais que toi ! »
- « Oui bin j’ai rien contre l’anonymat tu vois… »
- « En même temps, ils pensaient à quoi tes parents quand ils ont trouvé ton prénom ? ils auraient dû anticiper non ? », s’esclaffa Justine.
- « Ah ouais ? Et toi ? Comment ils auraient pu t’anticiper ? T’es la pire calamité qui me soit tombée dessus ! »
Nouveaux rires de Justine.
- « Vas-y, respire…Tiens, regarde qui arrive là-bas ! Je vais changer de victime et pourrir l’existence de Sami histoire que tu te reposes et que tu sois en forme pour affronter ma prochaine frappe à la récré de dix heures ! »
« Pauvre Sami ! » ne put s’empêcher de penser Lynette. Limite elle avait envie de lui crier « Sors ! Sors ! », comme s’il était un concurrent de Fort Boyard sur le point de rester enfermé dans une cellule avec La Boule alors que la clepsydre terminait de se vider.
Sami, vêtu d’un longue veste noire, avançait tranquillement en direction du portail et de ses deux amies. En même temps, personne ne l’avait jamais vu se presser pour aller en cours. C’était un petit miracle en soi que ses yeux soient presque totalement ouverts. La plupart du temps, Sami commençait les cours à 10h, contrairement à ce que son emploi du temps tentait de lui faire avaler.
Sami était encore loin des deux jeunes filles mais Justine avait un certain don pour réduire le continuum espace temps :
- « Bin alors Matrix t’es pas en mode Haut Débit ce matin ? », hurla-t-elle à pleins poumons tandis que tous les visages se tournaient dans la direction de Sami.
Lynette ne put réprimer un rire. Avec Justine c’était chacun son tour et on ne savait jamais ce qui allait se passer d’un instant à l’autre. Sami avait à peine réagi mais un léger sourire se dessina sur son visage encore ensommeillé.
- « Pfff même pas j’ai envie de te répondre, sérieux …Tu peux dire ce que tu veux je m’en bats les reins . Ch’uis complètement démoralisé par le DS de Physique là… »
- « T’as voulu faire une terminale scientifique ? Bah assume maintenant !! »
- « Ouais…bin vivement la fin de l’année… ».
La première sonnerie annonçant le début des hostilités retentit au loin : les élèves étaient théoriquement sensés s’activer pour aller rejoindre leur salle de cours. Bien sûr, personne n’esquissa le moindre début de mouvement. C’était typiquement dans ce genre de cas que l’on pouvait affirmer qu’entre la théorie et la pratique, il existe vraiment un gouffre. En ce début de semaine, chacun voulait jouer les prolongations du week-end et comme chacun sait : qui ne tente rien n’a rien. C’était comme si les élèves s’imaginaient que personne n’allait remarquer qu’ils n’avaient pas réagi mais la surveillante qui était à la grille, Malika, se chargea de ramener tout ce beau monde à la réalité :
- « Allez ! On y va la jeunesse ! On entre dans le temple du savoir !!! ».
Véritable relais de la sonnerie, Malika essayait tout de même de faire son boulot avec tact en agrémentant ses injonctions avec quelques plaisanteries ou jouant les supporters sportifs avec ceux qui avaient eu une panne de réveil et qui du coup étaient obligés de se taper un sprint matinal depuis l’arrêt du C3.
- « Pfff même pas le temps de se poser avant d’aller en cours » , soupira Sami en croisant Malika.
- « Bonjour Sami, moi aussi je suis contente de te voir aussi tôt ! J’avais perdu l’habitude à force…Au fait, essaie de rendre tes DM : j’ai entendu dire que c’était pas trop ça… », lui retourna Malika qui l’avait entendu se plaindre.
Sami ne lui répondit pas, se contentant de grommeler dans une barbe qu’il n’avait pas encore. Ce n’était pas une heure décente pour lui. Tel un zombie, il se contenta d’avancer vers le bâtiment tout en ayant la désagréable impression d’entrer en détention.
***
8h05, devant la salle B13. Cours d’Espagnol de Mme Fabian. Tout le monde, à part les quelques retardataires qui arrivaient au compte-goutte, avait déjà gagné sa salle de classe. Tout le monde sauf la classe des L-ES qui avaient justement cours avec Mme Fabian et pour cause, cette dernière n’avait pas réussi à ouvrir la porte. Cela faisait longtemps que des élèves mal intentionnés ne s’étaient pas permis de s’attaquer à la serrure en l’obstruant avec de la colle forte ou des cure-dents…
8h15, salle de DS E15. Sami reçoit un SMS de Lynette en plein milieu de l’exercice à propos duquel il se posait des questions au sujet de la langue dans laquelle il était énoncé.
« La serrure de la salle d’espagnol est bloquée. Le temps qu’on nous trouve une autre salle, on va avoir un cours de 15 min looool ».
« Pffff , J’aurais dû m’inscrire en L », se contenta de lui répondre Sami, à peine effrayé à l’idée de se faire prendre la main dans le sac avec son téléphone portable.
***
8h25. Une nouvelle salle, la C16, est enfin attribuée à la classe de Mme Fabian. C’est le Proviseur-adjoint, Monsieur Mourier himself, qui avait fait le déplacement pour annoncer la bonne nouvelle. C’est aussi ce qui explique que cela ait pris autant de temps. Dans un premier temps, il avait tout de même tenté d’ouvrir la salle B13, histoire de vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une simple manipulation à faire avec la poignée en même temps que l’on activait la serrure. Après un (très) court instant, le proviseur-adjoint avait déclaré forfait par un « Bon, la salle C16 est disponible jusqu’à 10h … ».
Mme Fabian rassembla ses troupes par un énergique « ¡Vamos! ».
Au moment de suivre le mouvement, Lynette interpella Justine :
- « Hé t’as vu la tête qu’elle a fait la prof quand elle a vu que Mourier y arrivait pas avec la porte ? Elle était contente … »
- « Bin, elle faisait comme nous : elle se foutait de sa gueule un peu, nan ? »
- « J’avais plus l’impression qu’elle était …soulagée ! »
- « Arrête de te faire des films ! C’est un coup elle est contente parce qu’elle va nous faire cours que pendant un quart d’heure, le temps qu’on s’installe… »
- « Tu m’étonnes, je me demande ce qu’elle va nous faire faire en si peu de temps … »
Justine avait peut-être raison mais Lynette ne put s’empêcher de trouver l’attitude de Mme Fabian extrêmement troublante : elle avait vraiment eu l’air soulagée que la porte de sa salle soit restée fermée et qu’elle ait été obligée de changer de salle. Ce que Lynette ne savait pas, c’est que son sixième sens ne l’avait pas mené en bateau et pendant que la jeune fille était perdue dans ses pensées et que les élèves de ES-L se dirigeaient via la passerelle en salle C16, personne ne vit une ombre quitter discrètement le premier étage du bâtiment B pour regagner la cafétéria…Cette jeune fille, pourtant, avait assisté à une scène pour le moins étrange et elle n’allait pas tarder à évoquer la question avec ses camarades.
- « Wassila, Naïma…vous allez jamais me croire !!! »...
Une telle apostrophe lancée si discrètement dans le hall d’un lycée n’annonçait jamais rien de bon. C’était l’affaire d’une dizaine de minutes pour que l’affaire fasse le tour de l’établissement et, à en croire les gesticulations et l’emphase de celle qui avait prononcé cette phrase, c’était du lourd…
A suivre…
Vous aimerez peut-être...
Episode 2 : Où tout le monde colle ....
On parle de nous dans le journal de Vaulx !
Jour et nuit, un mur s'illumine ....
Par Picart Quentin